Une terrasse, comme seul élément décoratif une statue de chien en pierre. Au centre, trois hommes sont assis.
Le premier, Fernand, a un bandeau autour de la tête. Il lit le journal. Le deuxième, Gustave, regarde au loin. Le troisième,
René, garde sa jambe allongée, une canne posée près de lui, un livre sur les genoux.

Scène 1
RENÉ: Dans quelques semaines le parc sera très beau... J'aime bien le mois d'août.

GUSTAVE: J'étais sûr que l'un de vous allait finir par briser le silence. On était bien,
il aura fallu que vous partagiez avec nous votre passion pour le mois d'août.

FERNAND: Vous n'aimez pas le mois d'août?

GUSTAVE: Non. Je déteste le mois d'août. Il est aux mois de l'année ce que le dimanche est aux jours de la semaine:
inférieur... creux.

RENÉ: Mais ensuite on a droit aux belles couleurs de l'automne...

GUSTAVE: Quel automne? Septembre, octobre c'est l'agonie, novembre, c'est l'enterrement... Décembre c'est le mois
le plus bête: Noël! Janvier, février n'en finissent pas de nous glacer les os... Mars et avril sont deux mois d'une grande
fourberie, toujours pleins de promesses qu'ils ne tiendront jamais... Puis à nouveau c'est la poisse: mai, juin, juillet...

FERNAND: C'est mal foutu...

RENÉ: J'ai croisé sœur Madeleine. C'est l'anniversaire de Chassagne ce soir.

GUSTAVE: Ça n'en finira donc jamais cette manie de fêter tous les anniversaires, comme à l'école? C'est un hospice
d'anciens combattants ici, pas une crèche.

FERNAND: Je suis d'accord, c'est intolérable.

GUSTAVE: C'est une exaltée cette Madeleine, elle a la passion de la célébration!

FERNAND: Je redoute le nouvel an cette année.

RENÉ: Pourquoi?

FERNAND: On est en 1959 et l'année prochaine on passe à 1960, on change de dizaine! Elle va vouloir fêter ça,
elle va mettre les bouchées doubles.

GUSTAVE: Évidemment, elle attend ce moment depuis dix ans!

RENÉ : Toujours est-il que c'est l'anniversaire de Chassagne.

FERNAND: Vous avez remarqué qu'il n'y a jamais deux anniversaires le même jour.

RENÉ: Non.

FERNAND: Et vous savez pourquoi? Parce que Madeleine ne supporte pas qu'il y ait deux anniversaires
le même jour. Je la soupçonne de soigner les malades en fonction de leur jour de naissance. Si votre date tombe
un jour libre, vous vivez, sinon...

RENÉ: Sinon quoi?

FERNAND: Vous vous souvenez de Marot, le capitaine Marot, il est né un 12 février, comme moi. Eh bien
il est mort six mois après son arrivée... C'était lui ou moi. Je l'ai échappé belle.

RENÉ: Il était mourant quand il est arrivé.

FERNAND: Non, non, sœur Madeleine s'en est débarrassée, j'en suis certain,à cause de sa date de naissance.
Elle m'a choisi en quelque sorte.

GUSTAVE: Pourtant on ne peut pas dire que vous soyez en pleine santé.

FERNAND: Peut-être, mais elle m'a choisi.

RENÉ : Quoi qu'il en soit elle m'a demandé de composer - avec vous deux a-t-elle bien précisé - un petit couplet
en l'honneur du lieutenant Chassagne.

FERNAND: Il est là depuis quand Chassagne?

CA COMMENCE COMME CA
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